
Le regard qui dévore
On dit qu’il faut manger avec les yeux.
Et c’est vrai. La beauté d’un plat fait déjà naître la faim. La brillance d’une sauce, le moelleux d’un cœur coulant, la couleur d’une figue éclatée… Tout cela excite bien avant la première bouchée.
Le désir fonctionne pareil.
Un corps qui se dénude lentement. Une épaule qui s’échappe d’un tissu. La courbe d’une hanche, la cambrure d’un dos, le reflet d’un sein dans un miroir… La vue est le sens le plus impatient. C’est lui qui veut, qui projette, qui devance. Il fabrique des fantasmes à partir d’un détail. Il invente tout ce que les autres sens confirment ensuite.
La cuisine comme l’amour sont des arts visuels.
La présentation compte. Le geste fascine. Verser, dresser, napper, découper — tout est chorégraphie. On observe l’autre cuisiner comme on regarde l’autre se toucher. On le devine, on l’apprend, on le regarde faire.
Il y a des corps qu’on voudrait lécher rien qu’en les regardant.
Des plats qu’on caresse d’abord avec les yeux.
Et puis il y a les regards. Ceux qui percent. Ceux qui effleurent. Ceux qui foutent le feu.
La vue n’est pas sage.
Elle n’attend pas. Elle ose. Elle montre et elle veut. Elle commence les jeux, souvent sans le dire.
Et parfois, dans une cuisine ou dans un lit,
c’est le regard posé sur l’autre
qui est déjà une mise en bouche.

