
Dans l’atelier des émotions (Art thérapie partie 4)
Cet article s’inscrit dans la série consacrée à un thème essentiel : le rôle de l’art dans le processus de guérison.
Après avoir exploré la puissance silencieuse de l’art, nous franchissons aujourd’hui une nouvelle étape : entrer dans l’atelier, là où la théorie devient pratique, là où les émotions prennent corps à travers la création.
Une séance, un cadre
L’art-thérapie n’est pas un atelier improvisé. Chaque séance repose sur un cadre qui sécurise et accompagne.
Julie Morin décrit ce déroulement : « Lors d’une séance individuelle d’un sujet suivi je vais tout d’abord rappeler le cadre thérapeutique de notre échange si cela est nécessaire ainsi qu’un court échange sur l’émotion actuelle, puis je propose un rituel d’ouverture de la séance. Ce rituel peut prendre de multiples formes (ex : météo du jour, respiration, douche sèche…), il permet de marquer le début de la séance. ».
Ces rituels ne sont pas de simples formalités, ils ressemblent à ces gestes familiers qui marquent un passage : ouvrir un cahier neuf, poser une bougie, inspirer profondément avant de se lancer. Ils créent un seuil. Ils disent : “Ici, tu peux déposer. Ici, tu peux oser”.
Le cœur de la dépose
Après cette ouverture, vient le temps du geste.
« Afin de faire entrer le sujet dans un processus créatif je propose un exercice de chauffe, celui-ci est bref mais intense et déstabilisant, souvent sans lien explicatif avec la situation, mais permettant par la suite une dépose réelle, car on invite l’inconscient et le subconscient à se mobiliser. ».
Puis survient le moment de vérité : « Viens alors le moment de la “dépose”, j’invite le sujet via un médium choisi à exprimer la réponse à ma proposition. Par exemple, pour un sujet qui se dit maniaque de la propreté, je propose d’exprimer son intérieur à travers l’utilisation de ses mains à même la peinture. Souvent déstabilisant et inconfortable, cet exercice apporte pourtant une libération progressive. ».
Je me reconnais dans ce que décrit Julie Morin. Écrire, pour moi aussi, a souvent été inconfortable. Certains textes m’ont écorché en sortant, comme si j’arrachais quelque chose de moi-même. Mais une fois posés sur la page, ils me laissaient plus léger, comme si je pouvais enfin respirer à nouveau. La “dépose”, qu’elle soit faite d’encre ou de peinture, n’est pas un exercice esthétique : c’est une délivrance.
Accueillir sans analyser
Une fois l’expression déposée, vient l’échange. « Vient ensuite un échange, durant lequel j’accueille les mots du sujet sur son ressenti sans émettre d’analyse. Je termine l’atelier par un rituel également de clôture afin de laisser le sujet repartir sans ce qu’il a déposé durant la séance et avec une possibilité de continuité dans sa vie quotidienne. ».
Ici, il n’y a pas de note, pas de critique, pas de correction. L’art-thérapeute n’est pas un professeur mais un témoin. Ce silence d’analyse est déjà une libération : il permet d’exister sans devoir se justifier.
Les mécanismes intérieurs
Pourquoi ce processus libère-t-il ? Julie l’explique ainsi : « L’être humain est fort en stratégies inconscientes afin d’éviter souvent de ressentir des émotions douloureuses. On camoufle comme on peut au quotidien les trop plein d’émotions, on se ment et on ment aux autres sur nos états, on devient maître de l’échiquier de nos émotions. On vit dans une économie de souffrance, comme si refouler était plus simple que d’accepter ce qui vient. Or, on le sait, le refoulement a un prix car il finit toujours par se manifester sous d’autres formes (addictions, compulsif, TOC …). En art thérapie on propose des déclencheurs qui vont aider le sujet à ressentir et exprimer ce qui est réellement, cela dans le but d’atténuer certains problèmes de santé ou de comportement destructeur. ».
Qui n’a jamais senti cette boule au ventre sans cause apparente, ou cette insomnie où l’esprit refuse de se taire ? Nous portons bien plus que ce que nous croyons. Et l’art, comme le dit Julie, devient un déclencheur pour laisser enfin circuler ce qui était bloqué.
Les effets dans le temps
« Souvent un soulagement à long terme passe par un inconfort à court terme. Mais les effets observés dans la plupart des situations sont bénéfiques puisque le sujet comprend qu’exprimer ce qui est a moins d’impact sur son état général que refouler même si au début cela procure de l’inconfort. ».
C’est comme nettoyer une plaie : cela pique d’abord, mais c’est le signe qu’une guérison s’amorce.
Conclusion et ouverture
Dans l’atelier des émotions, rien n’est imposé. Tout est invitation, tout est chemin. L’art-thérapie n’exige pas : elle propose, elle accompagne, elle ouvre des possibles.
Et vous, avez-vous déjà fait l’expérience d’une activité créative qui, au-delà du plaisir, vous a déstabilisé avant de vous libérer ?
Dans le prochain article, « Quand l’art redonne le souffle », nous découvrirons des témoignages où la création a aidé à traverser un deuil, des ruminations, et comment elle révèle la puissance insoupçonnée de la résilience humaine. Julie Morin nous éclairera une fois de plus de son regard d’experte et de praticienne. Vous pouvez d’ailleurs la retrouver via son compte Instagram ou sur son site internet.

