Maman héroïne

Ma mère, cette héroïne

Note au lecteur : ce texte a été rédigé en 1995, à l’approche de la fête des mères… Depuis, rien n’a changé au niveau de mon ressenti, bien au contraire. Cela a même été beaucoup plus loin, bien d’autres choses se sont passées, et il y aurait sans doute matière à écrire un seconde texte sur ce sujet.

 

Avec toute la publicité qui tourne autour de l’évènement, on ne peut pas le louper, ni l’ignorer : c’est bientôt la fête des mères. Je me suis dit que, pour cette occasion, j’allais préparer un article et vous parler de ma mère. Car si beaucoup d’entre vous se préparent à faire (et/ou à recevoir) un cadeau, je vais – une fois de plus – faire exception à la règle.

« Ma mère, cette héroïne… ». Le titre de l’article a résonné dans mon esprit, avec une évidence certaine. Glaçante même. Car, avec le recul, si ça peut être déroutant d’écrire un article sur sa propre mère, ça l’est encore plus quand on prend conscience du double sens du titre. Mais, croyez-moi, quand j’ai tapé ces mots, ça ne se voulait pas être le féminin de « Mon père, ce héros ».

Ma mère… cette femme bonne et généreuse, cette sainte qu’on porte aux nues. Parce qu’elle a été violée et qu’elle a décidé de garder son enfant ? Parce qu’elle n’a pas eu d’autre choix que de le placer en nourrice et qu’elle a tout fait malgré tout pour le garder ? Bel acte d’amour maternel en effet. Mais si ces actes-là sont louables, la suite est beaucoup moins glorieuse… Car si ma mère a eu des raisons de m’en vouloir – je n’ai pas toujours été un enfant sage, loin de là – il faut savoir évoluer, grandir, passer à autre chose, et pardonner.

Ma mère… ce poison qui s’est lentement et insidieusement insinué dans mon corps, dans mon sang, jusqu’à me faire réagir d’une manière quasi-systématique à chaque action ou grande décision que j’allais prendre dans ma vie : « c’est ce que je veux, mais… que va dire ma mère ? ». Au final, je faisais quand même ce que bon me semble, mais j’avais toujours à l’esprit sa réaction si elle venait à l’apprendre et que ça lui déplaisait.

Ma mère… cet être qui semble m’avoir fait payer très tôt le fait qu’elle ait souffert, comme si le fait qu’elle tombe enceinte de moi était de ma faute et qu’il fallait que j’en assume les conséquences. Combien de fois m’a-t-elle dit lors de ses sermons « estimes-toi heureux, tu sais, j’aurais très bien pu te laisser en nourrice quelque part, ou à la DDASS, pour que tu te retrouves dans une autre famille… et ça aurait pu être pire que de vivre avec nous ! ». Certes. Mais ça aurait pu être mieux aussi. Ou différent.

Ma mère… cette sœur aimante qui a préférée croire son frère âgé de quelques années de plus que moi quand j’ai osé dire qu’il avait abusé de moi sexuellement. « Quand est-ce que tu vas t’arrêter de mentir ? F. n’a pas pu te faire ça, c’est impossible, il a 4 ans de plus que toi, et à son âge on ne pense pas à ce genre de choses ! ». Bah oui, voyons, où avais-je la tête ? C’est vrai que comme je mens continuellement pour ne pas me faire engueuler, autant pousser mes mensonges un peu plus loin et faire en sorte qu’ils deviennent énormes, non ? C’est vrai aussi qu’à 16-17 ans on ne pense pas au sexe… évidemment.

Ma mère… cette humaine, dont la perfidie et la sournoiserie n’ont d’égal que sa générosité, qui a tenté de me décrédibiliser aux yeux de mon propre fils. Si sa mère et moi ne sommes plus ensemble depuis longtemps, nous avons au moins réussi deux choses : notre séparation et l’éducation de notre fils. Nous avons tenu tous les deux à ce qu’il soit en contact avec sa grand-mère paternel. Aujourd’hui, il a 15 ans et il n’y va plus en vacances depuis quelques années. Parce qu’il n’a pas d’amis de son âge sur place. Parce que sa grand-mère est assistante maternelle et a donc peu de temps à lui consacrer. Parce que – mon propos risque de sembler cruel mais il est véridique – il sert de nounou à son cousin, de 8 ans son cadet. Mais surtout parce que mon fils a fini par se rendre compte – par lui-même – de la perfidie, de la sournoiserie et de la méchanceté de sa grand-mère. Combien de fois a-t-il eu droit à des questions qui prêchaient le faux pour savoir le vrai ? Combien de fois a-t-il été manipulé ? Combien de fois a-t-il entendu « ton père ceci… ton père cela… » ? Combien de fois a-t-il demandé vainement à sa grand-mère de ne pas dire de mal de son père ? Sa mère aussi en a fait la demande à plusieurs reprises, dont une fois – mémorable – où elle s’est emportée et a remis ma mère en place. Pour quel résultat ? Aucun. Tant et si bien que mon fils a fini par ne plus vouloir y aller. Car s’il est comme moi, et qu’il n’osait pas dire non au départ, pour ne pas vexer sa grand-mère, il a fini par faire ses propres choix, et les assumer. Même quand sa propre grand-mère lui présentait honteusement les choses de la manière la plus sournoise qui soit, en jouant sur la corde sensible de la culpabilité…

Ma mère… cette partie de moi qui devrait malgré tout se réjouir de mon bonheur, de savoir que j’ai enfin réussi à faire quelque chose de ma vie et de voir que je suis devenu quelqu’un… et qui pourtant n’en fait rien. À l’été 1995, l’une de mes sœurs rencontre le groupe Tri Yann lors d’un festival. Après une longue discussion avec les membres fondateurs, touchés par ce drame qui vient de nous frapper (la mort de mon père en ex-Yougoslavie), ils dédient le concert à la mémoire de mon père. Peu de temps après, ils sortent un album avec une chanson à sa mémoire (La geste de Sarajevo, sur l’album « Le pélegrin« ). Ma mère est profondément touchée et devient une fan inconditionnelle, et secrètement amoureuse de l’un des chanteurs (comme toute bonne groupie peut l’être), tant et si bien qu’une relation très forte naît entre le groupe et elle. En 2013, je tente de tâter le terrain pour connaître l’état d’esprit de ma mère à mon égard, en lui posant cette simple question : « Si je me marie et que je t’envoie un faire-part… est-ce que tu viendras ? ». La réponse ne s’est pas faite attendre : non contente de revenir sur des points du passé (comme celui de mon prétendu viol auquel elle ne veut toujours pas croire) en concluant par un odieux chantage « prouves-moi que tu mérites que je vienne, et on verra. », elle a cru bon d’ajouter : « tout dépendra de la date car si c’est en été, il y a pas mal de concert de Tri Yann, sans oublier l’anniversaire de Jean-Louis (Jossic, l’un des chanteurs) et ça je ne le louperai pas… ». C’en était trop. À celles et ceux qui se demandent si elle était présente à mon mariage, la réponse est non. Je n’ai pas tenu à la priver des concerts et de l’anniversaire de son idole, qui semblent plus important que le mariage de la chair de sa chair. Je n’ai donc envoyé de faire-part ni à ma mère, ni à mes sœurs dont je n’ai aucune nouvelle depuis août 2008 pour la plus grande, et avril 2002 pour la plus jeune.

Plus aucune nouvelle depuis cette fameuse conversation téléphonique. Juste un signe, le jour de mes 40 ans. Par SMS. « En ce 31 mars bon anniversaire j’espère que tt va bien pour toi biz Maman ». Pas folle la guêpe ! Elle contacte mon fils plutôt que la mère celui-ci pour avoir mon numéro (elle devait se douter que mon ex ne lui aurait pas donné sans m’avoir demandé l’autorisation). Certains y ont vu une tentative de rapprochement… moi non. Elle essaye sans doute de se donner bonne conscience de temps en temps, mais chassez le naturel, il revient au galop. Lorsqu’il fallait que je prenne contacte avec elle, c’est qu’il y avait quelque chose d’important (sinon aucun signe de vie). Mais elle est toujours passée par mon ex : « dis-lui de m’appeler rapidement… ». En revanche, suite au décès de ma grand-mère paternelle en 2011, elle a su me contacter directement… après avoir contacté mon ex une énième fois pour lui demander une énième fois mon numéro. À cette période, je vivais dans la rue, mon adresse était celle d’un foyer d’aide, certains courriers – dont ceux de la succession – ont mis du temps à arriver. Là encore, ma mère et ma plus grande sœur ont réussi à me contacter directement, parce que n’ayant pas signé ni renvoyé les documents je bloquais la succession… et une rentrée d’argent importante.

Si ma mère, comme tout parent, a fait ce qu’elle pensait être le mieux pour moi, ça n’a été que par moment. Bien trop de choses ont été faites de manière totalement consciente et volontaire pour qu’on puisse mettre ça sur le compte de « j’ai fait ce que j’ai pu ». J’en ai souffert, mais aussi horrible que cela puisse paraître, j’ai appris à vivre sans ma mère. Je garde ce SMS sur mon téléphone, pour m’en servir le moment venu. J’en veux d’ailleurs à ma mère de ce message. Si VRAIMENT elle voulait savoir si tout va bien pour moi, elle aurait saisi l’occasion pour me téléphoner. Au lieu de ça, un petit SMS histoire de se donner bonne conscience, une formule de politesse, histoire d’y mettre les formes. Elle aurait signé son message avec « cordialement » ça m’aurait fait le même effet. D’un autre côté… c’est ma mère : pouvais-je attendre mieux d’elle ? Non. Elle ne connait pas les deux autres enfants nés après mon fils aîné, elle n’a jamais émis le souhait de les connaître bien au contraire (j’ai envoyé un CD de photos à la naissance de ma fille, CD qui a terminé son voyage à la poubelle). Elle ne connaît que mon fils aîné, mais elle ne connaîtra pas mes autres enfants… Elle m’a pourri de l’intérieur, elle ne s’en prendra pas à eux.

Vous l’aurez compris, même si c’est une mère et qu’on n’en a qu’une, la mienne est loin d’être irréprochable. Je ne lui tiens même plus rigueur de tout ce que j’ai pu subir. Je n’ai pas été un fils modèle, ni exemplaire, c’est un fait que je reconnais sans honte. Mais il y a des choses qu’une mère se doit de faire ou de ne pas faire, quel que soit son enfant. Si vous avez encore une mère, profitez-en tant que vous l’avez. Si vous l’aimez, dites-le lui, montrez-le lui. Même si physiquement elle est encore de ce monde, dans ma vie ma mère est morte depuis longtemps.

 

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