Le corps a dit non

Le corps a dit non

Ce texte n’est pas une accusation. Ce n’est pas un règlement de comptes. C’est un témoignage personnel, écrit avec lucidité et pudeur. Il raconte un malaise qui m’habite, une fatigue que je ne peux plus taire. Si certains y reconnaissent des situations, qu’ils sachent qu’il ne s’agit pas de pointer du doigt, mais de briser le silence. Parce que trop de gens souffrent en silence. Parce que le burn-out ne se résume pas à un “ras-le-bol”. Parce que, parfois, la tête finit par dire non… quand le corps a déjà trop encaissé.

Ce n’est pas forcément le corps qui s’effondre en premier. Parfois, c’est juste une tension. Une fatigue bizarre. Un sommeil qui ne repose plus. On se dit que c’est passager. Que ça ira. Mais le corps, lui, sait. Il alerte. En silence. Et un jour, c’est la tête qui flanche. Pas parce qu’elle est faible. Mais parce qu’elle a trop longtemps porté ce que le corps essayait déjà de dire.

Depuis le 28 mai, je suis en arrêt de travail. Et je viens d’être prolongé. Pas pour partir en vacances. Pas pour souffler un peu entre deux projets. Mais parce que j’étais à bout. À l’usure. Et que mon corps a fini par dire non. Pas brusquement. Pas du jour au lendemain. Mais lentement. Par accumulation.

Il y a des lieux de travail où l’on se bat d’abord contre les silences, les tensions, les jeux de pouvoir. Où l’on commence avec l’envie de bien faire, et où l’on apprend vite qu’il faut surtout survivre à l’ambiance. Des collègues qui imposent sans titre. Des personnes qui s’improvisent au-dessus de vous, vous scrutent, vous rappellent à l’ordre, vous accablent — pour se valoriser elles-mêmes. Sous couvert d’être irréprochables, elles installent un climat d’insécurité. On apprend vite à se taire. À obéir. À ne pas faire de vagues.

Puis un jour, un responsable humain, bienveillant, prend le relais. Et tout s’apaise. On respire. On recommence à croire que travailler peut rimer avec respect. Mais ces équilibres-là sont souvent fragiles. Trop courts. Trop rares. Alors reviennent les hiérarchies froides, les discours rigides, les procédures sans âme. On vous parle de rigueur, jamais de reconnaissance. On vous demande toujours plus, on vous soutient toujours moins. Et quand l’environnement se dégrade, quand une personne toxique s’autorise tout sous couvert de mérite, on vous demande encore de tenir. D’être loyal. De faire le job, quoi qu’il en coûte.

Mais à force de subir, de taire, de prendre sur soi… on finit par ne plus dormir. Par se lever le ventre noué. Par devenir étranger à soi-même. Un jour, on dit stop. Ce n’est pas de la faiblesse. C’est une forme de lucidité. Une survie. Un instinct.

Quand j’ai voulu partir, faire une demande pour un poste plus serein, plus proche de chez moi, on m’a fermé la porte. Parce que ce n’était pas le bon moment. Parce qu’on avait besoin de moi. Comme si on confondait loyauté et sacrifice.

Mais moi, je ne fonctionne plus. Je vois un psychologue. Je consulte la médecine du travail. Je fais tout ce que je peux pour m’écouter, cette fois. Pour me préserver.

Et si j’écris ce texte, ce n’est pas pour me plaindre. C’est pour poser des mots sur ce que vivent des milliers de personnes. Celles qui tiennent encore. Celles qui n’en peuvent plus. Celles qui ne veulent plus s’excuser d’être à bout.

Alors si tu te reconnais, sache que tu n’es pas seul. Et surtout : ce n’est pas toi qui déconnes. C’est le système qui épuise. Et parfois, pour ne pas sombrer, il faut avoir le courage de s’arrêter. Le courage de s’écouter. Le courage de vouloir mieux. Même quand on te dit le contraire.

Parce qu’avant que la tête ne dise “non”, le corps avait déjà commencé à parler.

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