
L’invisible confidence
On dit que les ombres parlent à qui sait les écouter. Que dans le silence, il existe des voix qu’on n’oublie jamais. J’ai attendu longtemps avant d’entendre la mienne…
Sur les réseaux sociaux ce matin, une publication a accroché mon regard. Elle posait une simple question : « Est-ce que tu as déjà senti une présence ? Raconte-moi en commentaire, j’a hâte de te lire. Pas juste un courant d’air, un vrai truc ». En la lisant, j’ai été immédiatement replongé quelques semaines en arrière.
À cette époque, ma vie professionnelle devenait de plus en plus lourde. Les conflits s’accumulaient, l’ambiance se dégradait, et chaque journée semblait peser davantage que la précédente. Pour souffler, j’ai fini par partir quelques jours à l’étranger. Besoin d’air. Besoin de distance.
Il faisait chaud, terriblement chaud. La chambre à coucher, étouffante malgré le ventilateur, était devenue inhabitable. Alors j’avais traîné le matelas jusqu’à la pièce à vivre, face à la mer, espérant trouver là un peu de fraîcheur. Allongé dans le noir, je cherchais le sommeil. Et puis, au détour d’un mouvement, j’ai senti quelque chose. Une présence. Je me suis redressé, scrutant l’obscurité. Rien, d’abord. Puis, dans le couloir, une ombre. Une silhouette qui s’est mise à bouger, lentement, pour s’approcher de moi. Peu à peu, les contours se sont dessinés : c’était une jeune fille. Ses traits me rappelaient étrangement Sophie, le personnage de Miyazaki dans Le Château ambulant.
Elle me fixait, immobile, le visage impassible. Ses lèvres ont fini par s’entrouvrir. Un souffle en est sorti. Un murmure. Mais impossible d’en saisir le sens. Elle a recommencé une deuxième fois, puis une troisième. Toujours ce souffle inaudible. Et, le temps d’un clignement d’yeux, elle avait disparu. J’ai attendu, espérant son retour. En vain. La fatigue a fini par m’emporter.
Au matin, je me suis demandé si tout cela n’était pas un rêve. Pourtant, quelque chose en moi refusait de réduire cette apparition à une simple hallucination nocturne. Si ce n’était pas un rêve… quel était le message ? Et pourquoi n’avais-je pas réussi à l’entendre ?
Les nuits suivantes, je suis resté à l’affût, tendu vers le moindre bruit. Rien. Jusqu’à ce qu’elle revienne. Une nuit, je me suis réveillé brusquement, persuadé qu’elle était là. Et elle l’était. Sophie était assise sur le canapé, les jambes croisées, toujours impassible. Elle a de nouveau entrouvert les lèvres. De nouveau ce souffle, ce murmure intraduisible. Et puis plus rien. Elle s’est évanouie.
J’en ai parlé à une personne de confiance. Elle m’a dit que ces apparitions pouvaient avoir de multiples sens, mais que dans son regard à elle, Sophie venait me délivrer un message. Et si je n’arrivais pas à l’entendre, c’était que je n’étais pas encore prêt.
Je suis rentré en France, et avec le retour au quotidien, le stress a repris toute la place. Je partais travailler chaque matin avec la boule au ventre, redoutant le moindre accroc, la prochaine humiliation, le prochain conflit. J’ai fini par consulter mon médecin traitant, puis la médecine du travail.
Et une nuit, alors que je suffoquais de chaleur et d’angoisse mêlées, Sophie est réapparue. Non pas au loin, mais chez moi. Elle s’est tenue là, tout près, et nos regards se sont croisés longuement. Son visage avait changé. Moins fermé. Plus lumineux. Elle m’a souri. Elle a ouvert la bouche. Et cette fois, j’ai entendu.
Ce que j’ai perçu ce soir-là n’appartient qu’à moi. Mais je sais, depuis, qu’il y a des voix qu’on n’oublie pas, même lorsqu’elles ne parlent presque pas.
