
Ce que la nuit ne m’a pas pris
Il y a eu cette nuit.
Celle du 31 mai au 1er juin 2023.
Un hôtel, des cachets, le silence. J’avais décidé que ce serait la fin. Que plus rien ne méritait que je reste debout. Que la douleur avait pris trop de place. C’est là que mes collègues m’ont retrouvé. Pas des collègues, des frères d’armes. Des hommes et des femmes qui ont ouvert cette porte sans savoir s’ils me retrouveraient vivant. Ils m’ont retrouvé. Coma profond. Pronostic vital engagé. Et pourtant, je suis encore là.
Et je ne suis pas resté seul.
Je me souviens de cette infirmière, là à mon arrivée en réanimation. De son regard, de sa voix calme, de ses gestes sûrs. Quelques jours plus tard, nos chemins se sont recroisés. On a parlé. Un lien s’est tissé, simplement. Depuis, une amitié sincère s’est installée, comme un fil discret entre deux existences qui ne se seraient jamais croisées sans ça. Elle fait partie de ceux qui, sans bruit, ont compté.
Après ça, rien n’a été simple.
Il y a eu le choc, les regards, le vide après le chaos. Une séparation qui m’a brisé. Des mots, des gestes, des violences. Un dépôt de plainte. Une garde à vue. Un jugement. Une peine avec sursis, une mise à l’épreuve, une obligation de soins, une interdiction de contact. J’ai touché le fond, puis j’ai gratté le sol en dessous.
Mais je n’ai pas coulé. Et c’est aussi grâce à eux.
Mon ancien chef de service a été l’un des premiers à m’entourer. Un homme profondément humain, à l’écoute, bienveillant, juste. Il n’a jamais laissé tomber. Ma hiérarchie aussi a été là, présente, respectueuse. Elle s’est informée, régulièrement, de mon état, de mon bien-être, avec une sincérité rare. Et puis il y a le psychologue de la police. Celui qui me suit depuis ce jour-là. Quelqu’un de remarquable, d’une intelligence et d’une douceur qui m’ont aidé à poser les mots, à comprendre, à me tenir debout sans avoir à me justifier.
Grâce à eux, j’ai compris que même dans l’institution, il y a des êtres qui veillent. Qui tendent la main. Qui savent voir au-delà du silence. J’ai commencé à respirer autrement. Plus lentement. À reconstruire ce qui pouvait l’être. À réparer ce que je croyais perdu. Avec des hauts, des bas.
Avec cette fragilité qui, parfois, revient frapper à la porte, mais qui ne trouve plus la clé.
Et puis, il y a eu les liens tissés après la tempête. Des amitiés neuves, inattendues. Des visages qui ne connaissaient rien de mon passé, mais qui ont su voir l’homme que je devenais. On s’est parlé avec pudeur, avec vérité. Ils m’ont tendu des mains que je n’attendais plus, et j’y ai trouvé de la chaleur, de la loyauté, du soutien sans condition.
Et puis… il y a eu elle.
Je ne saurais dire quand elle est devenue essentielle. C’est arrivé doucement, comme la lumière qui s’infiltre dans une pièce fermée depuis trop longtemps. Elle ne m’a jamais demandé d’être autre chose que ce que je suis. Avec elle, je peux tout dire, ou me taire. Elle m’apaise. Elle me pousse. Elle me remet debout, sans bruit, juste par sa façon d’être là. Elle m’aide à croire, encore. En moi. En l’amour. En quelque chose de possible. On s’est trouvé au bon moment, comme si la vie, enfin, avait décidé de me tendre quelque chose de doux. Avec elle, j’ai appris à me déposer. À ne plus fuir. Elle n’efface rien de ce que j’ai vécu — mais elle éclaire tout ce que je suis. Grâce à elle, je respire un peu plus large. Je rêve un peu plus fort. Et j’avance, les yeux ouverts.
Aujourd’hui, je ne suis pas un survivant. Je suis un vivant. Un homme cabossé, mais debout. Un homme qui apprend à ne plus avoir honte. Qui s’autorise à rêver à nouveau.
J’ai des envies. Des projets. Un chemin à écrire. Pas pour prouver. Pas pour oublier. Juste pour vivre.
Et ça, rien ni personne ne pourra me le reprendre.
