
Paris fatigue, Majorque respire
C’est l’histoire d’un mec en arrêt.
Pas que de travail.
En arrêt de tout ce qui le tirait vers le bas.
Parfois on ne rêve pas d’un nouveau départ. On veut juste une issue. Un souffle plus large, un quotidien qui n’étrangle plus. Ce texte, c’est une pause. Un arrêt sur image entre Paris qui use, Majorque qui apaise, et tout ce que j’attends encore. Entre fatigue, justice, et un peu d’espoir.
Il y a des périodes où l’on ne cherche plus à avancer. On cherche juste à ne pas sombrer. Je suis dans l’une de ces périodes.
Depuis plusieurs mois, je traîne les pieds dans un service qui s’effrite, au cœur du commissariat du 11e arrondissement. On était cinq. On n’est plus vraiment que trois. L’une est partie. L’autre est malade, souvent absent. Et moi, je tiens. Enfin, j’essaye. Parce qu’à force d’user les nerfs, les jours, l’énergie et les illusions, on finit par ne plus tenir grand-chose. Surtout quand la hiérarchie préfère faire semblant de ne pas voir. Ou de faire obstacle.
Alors les jours s’allongent. Les heures deviennent plus lourdes. On s’épuise à vouloir rester droit dans un cadre qui penche. Il y a ceux qui partent, ceux qui tombent, et ceux qui restent debout par habitude, pas par force.
J’ai demandé à partir. Pas pour fuir, mais pour me rapprocher.
Dix minutes à pied au lieu de quarante-cinq minutes de transport, ce n’est pas juste du confort. C’est un peu de vie qu’on essaie de récupérer. C’est moins de métro, plus d’air. Moins de chaos, plus de silence. J’ai tout fait dans les règles. J’ai patienté. J’ai respecté les procédures. J’ai mis de côté mes agacements, mes déceptions, mon ras-le-bol. Mais certains chefs — ou du moins ceux qui se veulent tels — ont le pouvoir de coincer, de freiner, de saboter sans en avoir l’air. Et c’est ce qu’il se passe. Encore une fois.
On appelle ça l’inertie institutionnelle. Moi, j’appelle ça le mépris.
Le 28 mai, ça a craqué. Un énième épisode, une humiliation de trop. J’ai pris rendez-vous chez mon médecin. Et j’ai été mis en arrêt.
Le 2 juin, j’ai pris l’avion pour Majorque. Je suis venu retrouver celle qui m’ancre. Celle qui me regarde sans jugement et m’offre, dans le silence et la lumière, une paix que je n’ai plus à Paris.
Ici, je respire autrement. Je regarde la mer changer de visage chaque jour, comme une réponse naturelle à mon propre chaos intérieur. C’est une lumière qui n’a pas besoin d’expliquer. C’est une île qui ne juge pas, qui ne pousse pas, qui laisse faire.
Je bois un verre en terrasse. Je marche sans tension dans le dos, ni boule au ventre. Je recommence à me voir.
Je ne me suis pas encore penché sur les pistes professionnelles ici. Une chose à la fois. Pour l’instant, j’espère encore que ma mutation sera acceptée. Et sinon, je forcerai le destin. Parce que rester là-bas n’est plus envisageable. Parce qu’au-delà des chefs interchangeables, il y a aussi l’usure des liens, les silences complices de ceux qui laissent faire, les collègues qui s’effacent ou se foutent de tout.
Et puis il y a le 16 juin.
Ce jour-là, une juge décidera peut-être que mes fils pourront enfin rentrer chez leur mère, sortir de ce système froid qui les garde en suspens depuis trop longtemps. Peut-être que je pourrai enfin les voir autrement. Les voir vraiment. Sans le poids d’un tiers dans une salle impersonnelle. Sans chronomètre. Sans avoir l’impression qu’on me les prête à peine. Deux heures, une fois par mois.
Peut-être qu’on cessera enfin de faire semblant qu’il y a un lien, alors que ce lien, on nous l’a tordu, réduit, formaté.
Je ne sais pas encore ce que je vais écrire à la suite. Mais pour une fois, j’ai le temps. Et un peu de lumière…
