Père et fils

A hauteur d’eau…

Certains matins n’annoncent rien de particulier, sinon la lumière douce sur les volets, le bruit feutré du monde qui s’éveille lentement, et cette impression de temps suspendu. Et puis il y a les autres. Ceux où quelque chose se joue, sans prévenir, dans l’ordinaire d’un geste, dans le silence partagé d’un instant. Ce matin, c’était dans l’eau. Lui et moi. Mon fils et moi.

Il avait huit ans dans les jambes, dans les bras, dans les éclats de rire qu’il laissait derrière lui. J’avais mille souvenirs dans les épaules. Des silences que je porte encore. Des regrets que je fais taire. Des « je t’aime » que j’ai appris à dire. Dans cette piscine à peine tiède, entre les clapotis et le ciel qui regardait tout ça sans rien dire, on a nagé. Pas très loin. Pas très longtemps. Mais ensemble.

Je lui ai montré comment pousser avec les palmes, comment allonger les jambes, comment sentir le mouvement se prolonger jusque dans les doigts. Et lui, appliqué comme jamais, faisait des essais maladroits, puis des progrès soudains, comme une victoire sur lui-même. Ce n’était pas un cours de natation. Ce n’était pas un défi sportif. C’était un moment de lien. De ceux qui ne se décrètent pas, mais se vivent. Et qui restent.

Être père, parfois, c’est ça. Juste être là. Pas forcément pour apprendre quelque chose, mais pour accompagner. Offrir sa présence comme on tend une main dans le noir. Être un repère, pas un héros. Un visage familier dans le miroir du matin. Un souffle rassurant quand la nuit fait peur. Une épaule, un regard, un éclat de rire, une main qui rattrape sans juger.

Dans l’eau, il n’y avait ni injonction ni attente. Il n’y avait pas besoin de parler. Il y avait les gestes, les sourires, et cette joie simple de se découvrir à deux. L’eau efface les frontières. Elle rend les corps légers, égaux, vulnérables. Un père n’y est plus ce géant indétrônable, mais un homme qui nage à côté, à la même hauteur, les yeux dans les yeux.

Il m’a demandé si on irait nager en mer ce soir. J’ai dit oui, évidemment. Parce qu’un « oui » dans la bouche d’un père, c’est plus qu’une réponse : c’est une promesse discrète. Celle d’être là, encore. D’offrir du temps. De construire des souvenirs qui tiendront chaud, même quand on ne se comprend pas, même quand l’adolescence bouscule, même quand la vie éloigne.

Je ne sais pas ce qu’il retiendra de ce matin. Peut-être pas grand-chose. Peut-être un éclat de soleil sur l’eau, le rire qu’on a eu quand il a bu la tasse, ou cette sensation étrange d’avancer vite avec ses palmes pour la première fois. Mais moi, je garderai tout. Le poids léger de sa confiance. La joie fugace de l’avoir vu fier de lui. Et ce silence heureux, en remontant, où rien ne devait être dit.

Il y a des matins comme ça. Ils ressemblent à l’évidence. Ils ne changent rien, en apparence. Mais en vérité, ils bâtissent. Ils consolident ce fil invisible entre un père et son enfant. Et ce fil, plus tard, résistera au vent.

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